2022, “l’art décante avec le temps”, Londres, Artsy en ligne

l’art décante avec le temps

par Malika Dorbani Bouabdellah.

Bestiaire comme aux vieux temps mais sans sermon. Date de 2020,  il se place d’emblée dans un contexte de pandémie. C’est la forme appropriée que Hellal Zoubir réalise de manière intentionnelle, singulière et lisible à plusieurs niveaux. Fabuleux, hybride, mythologique, mystique peut-être, humoristique, c’est un recueil de quatorze tableaux qui fait penser au Décaméron de Boccace.  Des créatures mi-anges, mi-humaines, reconnaissables à tous, s’y côtoient, de très près, et sans hiérarchie, à l’aide de détails révélateurs d’un univers intime, habituel, et de découvertes fondatrices, in situ. Le Sahara, l’Afrique,  l’Egypte, les lectures, les récits, les 1001 nuits, les livres  sacrés et profanes,  la poésie amoureuse de l’antique Arabie remettent à jour la mémoire dérobée.

Bestiaire à plusieurs sens dont le mal et le talisman, miroir à deux faces où une certaine société n’aime voir les changements.     

Rébus aussi où un alligator albinos, déjà mutant, mute encore en humain et reptile par un jeu de mot arabo-espagnol, Ali et gator. Le charriot à quatre roues, plat comme un skateboard, sert aux anges aux ailes figées, aux félins sans  coussinets nécessaires à la course, et à Pégase sans pouvoir d’inspiration. Le sarcasme encore plus insolite, est la Banane scotchée au mur, ici murde graffiti et de tatouages, à droite d’une triade où domine Hathor, avec ses cornes de vache et sa poitrine à fleurs-étoiles de déesse céleste déchue de l’amour et de la beauté. Référence à Cattelan et à Banksy, elle rappelle toute la polémique  et les détournements que son exposition, sa vente et sa résonance ont suscitées partout dans le monde.

Rébus qui donne à deviner, à travers le couple Eve-Adam séparé,  la femme à la licorne, le chat et les oiseaux noirs, les fantasmes et les désirs indicibles, les angoisses insurmontables  et les mythes insondables.

Rébus où le titre constitue l’image qui dévoile  le sens caché et qui fait que l’Afrique reste une énigme pour les gens du Nord tant qu’ils ne trouvent dans le Sahara, la clé du secret. 

Bestiaire prétexte à la peinture avant tout et à l’illustration, si possible, et vice versa. Une palette minérale et végétale, l’indigo et l’ocre sahariens et africains, leurs tons complémentaires, dilués et condensés, y prédominent. Le dessin, la ligne de contour, l’école, les graphismes, des motifs ornementaux, l’arabesque et la géométrie, y affleurent les fonds de la toile.  La formation initiale de l’artiste à Alger, aux Arts Déco à Paris, la tradition des signes et l’oralité prônées par le mouvement Aouchem auquel il avait adhéré dans les années 70, et sa sensibilité propre à l’enluminure orientale, sont toutes remises à l’esprit dans ce recueil.

Les idées, les thèmes,  les sujets sous-tendus par un esprit de recherche évident et une tendance à simplifier et à styliser qui procurent plus d’espace, de rythme et de liberté à la fantaisie.

Malika Dorbani Bouabdellah

Paris, 8 mai  2022.